Alors que beaucoup de nos doctes économistes alternatifs voient plus de courage que de bêtise à la proposition de Hollande de taxer les méchants riches à 75%, je me console de tant de médiocrité en cette campagne électorale en relisant Bastiat. Il faut dire que Sarkhozy a pris le pouvoir avec allant en 2007, mais il n'a pas créé de rupture. Il a en quelque sorte entériné toutes les dérives de ses trente dernières années. La gauche socialiste s'engouffre dans cette voie et réclame un coup de barre à gauche sans retenue, puisque la politique de Sarkhozy -soit disant à droite voire même libérale- n'a pas marché. Si Hollande prend le pouvoir, le décor est prêt, ce seront les années Sarkhozy qui auront brisé l'économie. Le socialisme, ce contempteur de la main invisible, a inventé depuis deux siècles la machine perpétuelle à dénoncer l'oppression économique, qu'il est le premier à plébisciter.
La gauche française rêve d'une Egypte des années 90 à l'échelle européenne (et cette Turquie mentionnée par Bastiat): un pays socialiste et centralisé, une masse de gens vivotant dans la débrouille et les petits salaires, des fonctionnaires pauvres mais rutilants en comparaison, un tourisme actif et une petite nomenklatura.
Si vous faites de la fraternité une prescription légale, dont les actes soient prévus et rendus obligatoires par le Code industriel, que reste-t-il de cette définition? Rien qu'une chose: le sacrifice; mais le sacrifice involontaire, forcé, déterminé par la crainte du châtiment. Et, de bonne foi, qu'est-ce qu'un sacrifice de cette nature, imposé à l'un au profit de l'autre? Est-ce de la fraternité? Non, c'est de l'injustice; il faut dire le mot, c'est de la spoliation légale, la pire des spoliations, puisqu'elle est systématique, permanente et inévitable. Que faisait Barbès quand, dans la séance du 15 mai, il décrétait un impôt d'un milliard en faveur des classes souffrantes? Il mettait en pratique votre principe. Cela est si vrai, que la proclamation de Sobrier, qui conclut comme le discours de Barbès, est précédée de ce préambule:
« Considérant qu'il faut que la fraternité ne soit plus un vain mot, mais se manifeste par des actes, décrète: les capitalistes, connus comme tels, verseront, etc. » Vous qui vous récriez, quel droit avez-vous de blâmer Barbès et Sobrier? Qu'ont-ils fait, si ce n'est être un peu plus conséquents que vous, et pousser un peu plus loin votre propre principe? Je dis que lorsque ce principe est introduit dans la législation, alors même qu'il n'y ferait d'abord qu'une apparition timide, il frappe d'inertie le capital et le travail; car rien ne garantit qu'il ne se développera pas indéfiniment. Faut-il donc tant de raisonnements pour démontrer que, lorsque les hommes n'ont plus la certitude de jouir du fruit de leur travail, ils ne travaillent pas ou travaillent moins? L'insécurité, qu'on le sache bien, est, pour les capitaux, le principal agent de la paralysation. Elle les chasse, elle les empêche de se former; et que deviennent alors les classes mêmes dont on prétendait soulager les souffrances? Je le pense sincèrement, cette cause seule suffit pour faire descendre en peu de temps la nation la plus prospère au-dessous de la Turquie.
Frédéric Bastiat Justice et Fraternité